A l’entrée d’Auschwitz, les nazis avaient écrit : Arbeit macht frei, c’est-à-dire "Le travail rend libre". Georges Orwell, lui, a écrit : "La liberté c’est l’esclavage".
Les gens qui entraient à Auschwitz n’étaient pas libres, c’est le moins que l’on puisse dire, et ceux qui étaient considérés comme aptes au travail dans un camp devaient travailler sans salaire, et ceci dans des conditions inhumaines, jusqu’à l’épuisement : ceci s’appelle une inversion de sens, car dans ce cas ni le travail, ni l’esclavage, ne rendaient libre.
Les nazis étaient antisémites, c’est à dire qu’ils haïssaient les juifs de façon essentielle : être né juif était considéré comme une tare génétique, induisant des traits de caractère fondamentaux et congénitaux.
Pour un antisémite, une personne juive de naissance, qu’elle soit croyante, athée ou agnostique, ou encore bouddhiste, reste juive et répulsive par essence.
Ainsi l’antisémite hait les juifs de façon essentielle, mais n’a aucune pensée critique envers le judaïsme : il n’en est même pas capable, car il ne connaît pas le judaïsme, et ne sait pas penser plus loin que sa haine essentielle.
Quelques décennies après la chute des nazis, la très grande majorité des Européens a intériorisé le fait que l’antisémitisme avait mené naturellement au mal absolu : éliminer physiquement et dans de grandes souffrances, des millions d’êtres humains considérés comme intrinsèquement mauvais, est véritablement la suite logique de la pensée antisémite.
Profitant de l’occasion, certains ont fourni aux peuples européens un nouveau concept, censé à première vue seulement, être le frère jumeau de l’antisémitisme : l’islamophobie.
Ceux qui se sont vus taxés d’islamophobie ont été discrédités et criminalisés pour des raisons exactement et absolument inverses de celles de l’antisémitisme : l’antisémite ne connaît rien à la religion juive mais hait les juifs essentiellement ; inversement, celui qui est taxé d’islamophobie ne fait que soumettre l’islam à la critique et ne hait pas les musulmans essentiellement.
Attribuer l’étiquette d’islamophobe aux critiques de la religion musulmane permet aujourd’hui, en utilisant la peur d’un retour vers la Shoa, d’empêcher des gens d’avoir une pensée un tant soit peu critique envers l’islam en tant que système de pensée, idéologie ou religion, et ceci même si ces critiques de l’islam n’avaient jamais considéré les personnes nées dans l’islam comme étant intrinsèquement mauvaises ou répulsives.
Nous nous retrouvons ainsi devant une nouvelle et dangereuse inversion de sens :
Arbeit macht frei résonnait commue une cruelle ironie à l’entrée d’Auschwitz, pour ceux qui allaient travailler sans salaire jusqu’à la mort, tout comme l’accusation d’islamophobie résonne comme une cruelle ironie pour ceux qui voudraient garder leur esprit critique et leur liberté de pensée face à l’islam, et qui pour cela risquent parfois leur vie afin d’alerter leurs contemporains sur les risques d’une nouvelle théocratie.
En 2016, nous sommes arrivés au point surréaliste où l’écrivain algérien Kamel Daoud s’est fait accuser publiquement d’islamophobie, et a été lynché virtuellement par un groupe de personnes qui n’avaient probablement pas conscience de l’inversion de sens que leur signature entérinait.
Kamel Daoud est né et vit en Algérie, il ne hait essentiellement ni lui-même, ni sa famille, ni ses amis, ni ses voisins, ni ses concitoyens. Il ne fait que soumettre à sa réflexion la religion qu’il a reçue à la naissance, et certaines des conséquences qu’il observe autour de lui. On pourrait répondre à sa critique par des arguments réfléchis, mais certains préfèrent lui faire un procès et le mettre en danger.
En même temps en Europe, les juifs recommencent à être considérés par certains, non plus comme des concitoyens ou des être humains, mais comme des identités religieuses, dont le meurtre deviendrait ainsi justifiable (meurtre d'Ilan Halimi, tuerie à l'école juive de Toulouse, attaque du Musée juif de Bruxelles, attaque de l'Hyper Cacher à Paris). Un récent documentaire d'Arte sur le retour de l’antisémitisme en France au travers du fondamentaliste musulman a été censuré, car il semble qu’aujourd’hui seuls l’antisémitisme d’extrême-droite ou l’"islamophobie" peuvent être dénoncés.
Reza Aslan, l’auteur d’un récent best-seller disponible à l’heure actuelle dans nos librairies romandes (« Le Miséricordieux », en arrive même à relativiser le massacre de 600 à 700 juifs en une seule nuit au 7ème siècle, au motif qu’il ne s’agissait alors que d’à peine plus d’un pour cent de la population juive de Médine à cette époque, ou encore de "pas plus d’une minuscule fraction" de cette même population.
Certains historiens ayant comparé ce massacre à un génocide, Aslan en vient à considérer que faire cette comparaison serait "un affront à la mémoire des millions de juifs qui ont réellement souffert des horreurs du génocide" (hitlérien s’entend). Essaie-t-il de nous dire que tout massacre de juifs comptant pour à peine plus de un pourcent d’une population donnée, et restant en dessous de la barre des 6 millions, ne peut maintenant plus choquer ?
Il semble que nous soyons entrés à nouveau dans une époque marquée par l’inversion de sens.
C’est pourtant par la prise de conscience critique des effets négatifs des idéologies qui nous ont imprégnés enfants, ceci alors que nous n’avions pas la capacité de les accepter ou de les refuser, ni de trier ce qui nous élève de ce qui nous enfonce, que nous devenons capables d’évoluer et d’avancer dans nos pensées, et dans notre humanité.
Lorsque nous sommes en mesure de remettre les dogmes en question, nous devenons libres. Lorsque nous comprenons que les dogmes et les idéologies ne font pas partie de notre essence même, et que nous n’allons en rien perdre notre amour-propre en les remettant en question, nous devenons libres.
Sophie